Gaël Varoquaux

Wed 07 May 2003

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Mes vacances de pâques : 10 jours dans l’arrière pays

Tout a commencé il y a deux semaines, je me demandais ce que j’allais faire pendant les vacances de pâques. L’hivers approche ici, et un type normal resterait à Dunedin, une petite ville bien sympa. Bon étant donné que je ne suis pas vraiment un type normal vous imaginez bien que ce n’étaient pas mes projets. Je comptais remonter vers le nord, où il fait plus chaud, et aller voir de jolis lacs.. Mais j’ai reçu cet e-mail par l’intermédiaire de la mailing list du “Tramping Club” :

James Scott and I are heading to Fiordland for 10 days over Easter, in the remote country in the back of the Special Takahe Area. We are looking for two more people to share fun, pain, costs and gear.

Our intended route: Boat-ride with Adrian to Bradshaw Sound, Gear Arm. Camelot River and Cozette Burn. Robin Saddle Hut (apparently the remotest hut in NZ). Irene River, Large Burn and Doon River. Boat ride out on Middle Fiord of Lake TeAnau. We’ll try and climb both Coronation Peak and Mt. Irene on the way. Yes, we are both aware it’s an ambitious plan, but we are excited about it - aim for Mars, and you’ll land on the moon.

Dates: leaving on Thu night, April 17th; back on Sunday, April 27th

Cost estimate: $250 - $300 each, including boat rides on Doubtful Sound and Lake Te Anau, ride to Te Anau and back, mountain radio hire, food

trip level: madness

skills required: off-track tramping, river crossing, bush-bashing, alpine (rock + snow), being able to smile when life is shit

equipment needed: ice-axe (1), sense of humor (LOTS), crampons (2), thirst for adventure (LOTS), harness (maybe). A bivvy bag is strongly recommended - we will NOT carry a tent.

what we can guarantee: a trip that is going to be wild, rough, hard, in a unique remote area

what we cannot guarantee: your survival (particularly if your name is Bob Smith)

If you are interested, get in touch ASAP with me or James (james.scott@paradise.net.nz, 471 0096) - sorry we’ll have to be kind of picky on this one.

Ciao

Danilo Hegg

Je précise que je connais Danilo et qu’il est totallement givré, que je connais aussi James, et qu’il est moins givré mais que récement il a dû se faire évacuer par hélicoptère parce que son compagnon avait perdu son sac dans un torrent à des jours de marche de toute contrée hospitalière. Sachant ceci (et donc que ce n’était pas un e-mail juste pour crâner) je me suis dépéché de répondre, et j’ai été jugé assez fou pour être accepté.

Le week end suivant je restais en ville, pour la première fois depuis des mois, j’ai donc été chargé d’aller chercher la radio : une petite boite dans une poche en toile cirée jaune, avec une antenne de vingts mêtres à dérouler.

La veille du départ je reçois un e-mail de Danillo m’invitant à le joindre pour aller faire les courses, mais ce soir là j’avais convié tout le labo à un dinner chez moi pour fêter mon anniversaire. La règle tacite dans la maison est que lorsque l’on organise une fête les différents locataires peuvent inviter quelques uns de leur amis, c’est ainsi que la moitié des convives ne savaient même pas quel était le “birthday kid”. Au milieu de la foule hétéroclyte invitée par mes colocataires, charmants mais un peu dégentés, les physiciens de labo essayaient d’établir une atmosphère familière afin de ne pas se sentir etrangers. La bière favorite des post-docs, qui traine si souvent dans la salle commune du département de physique était au rendez-vous, mais Dieu merci mes colocataires avaient une bonne provision de vin. J’ai reçu une carte avec sur le devant “Happy birthday to a person who has that certain ‘Je ne sais quoi’ “ et derrière “That’s french for ‘a card with no money in it’ “. Avec la carte venait un gigantesque oeuf de Pâque que nous avons partagé, et dedans il y avait des pastilles de chocolat, choisies parce que je pouvais les enmener avec moi dans la brousse.

La fête s’est vite tassée et le labo est parti se coucher, laissant derrière lui Andrew, un de mes colocataires, ivre mort, grattant sur sa guitare tout en m’expliquant lentement à travers sa barbe fournie sa philosophie, une version simplifié du “Carpe Diem”. Il fallait voir cette masse de plus de 100 kilos, qui a voyagé à travers toute l’Asie dans des conditions inimiginables, débiter ses âneries, tout à fait conscient qu’il est sou, mais encore droit comme un ‘I’, comme un clodo parisien, interpelant l’assistance.

Sur ce Danillo a débarqué : il m’apportait dix kilos de nourriture, et deux kilos de fuel, le portage ayant été réparti à l’aide d’une balance chez lui.

Le lendemain j’arrivais en retard au labo, avec un sac à dos immense, qui, je dois avouer, m’effrayait un peu. Nous avons fini les gateaux pour le thé, sauf le gateau au chocolat, qui était déjà dans mon sac, et deux heures plus tard j’étais dans la voiture de James, partant pour Fjordland.


Le bateau d’Adrian était mouillé sur le lac Manapouri, mais il a fallut faire la navette entre le bateau et la station service à Te Anau pour remplir le reservoir, puis hisser à bord 150L dans des bidons. A la station service la pompiste s’amusait beaucoup. Surtout quand nous avons entrepri de séparer à l’odeur les bidons d’essence, destinés au bateau, des bidons de diesel, destinés au camion qui attendait de l’autre coté du lac pour amener le bateau jusqu’à la mer.

Une fois le bateau plein James est parti à Te Anau attendre la deuxième voiture : la sienne resterait là-bas pour servir au retour. Pour ma part je restais sur la jetée, à attendre dans la nuit, au milieu de nul part. Mes vêtements chauds étaient dans mon sac à dos, sur le bateau, mouillé à vingt mêtres de là, et l’attente a été glaciale : si je restais en place plus de dix minutes je me mettais à grelotter. Le froid me gagnait lentement et au plus profond de moi même.

Finnallement des phares ont surgit sur cette route déserte, et toute la clique était réunie. Adrian a amené le bateau au ponton, et nous avons embarqué pour la traversée du lac Manapouri. La pleine lune permettait de naviguer sans difficulté, et les montagnes dominant le lac étaient superbement éclairées, la neige qui les courronait luisant pâlement dans l’obscurité. Engourdi par le froid, malgrés la veste en duvet que j’avais emprunté avant de partir, je tentais de m’arracher à la somnolance qui me prenait : même sur un plan d’eau calme le bateau d’Adrian rebondit violement sur la moindre irrégularité. Ce qui devait arriver arriva : une seconde d’inattention, et ma tête rebondit sur le capot ; le gout de sang dans ma bouche me tient éveillé pendant quelque temps, mais mes yeux se ferment à nouveau, et je m’enfonce une deuxième fois les dents dans la lèvre inférieure. Heureusement la traversée est terminée. Un hall d’embarquement pour les touristes qui traversent pendant la journée est ouvert et chauffé : de ce coté du lac il n’y a rien, c’est un avant poste dans la brousse, et les portes n’ont même pas de verrous. Nous nous couchons sur la moquette, bien à l’abris du vent. C’est ma dernière nuit sous un toit pendant un moment, et je compte bien en profiter.


Le lendemain matin nous nous levons dès les premières lueurs du jour : le plus tôt nous pouvons commencer à marcher le mieux. Mais il faut encore amener le bateau au fjord. Le gros 4x4 d’Adrian est garé non loin de la jetée et nous plaçons le bateau sur la remorque. Une petite demi heure de voiture nous amène au fjord par une route sinuant au fond d’une gorge. “Doubtful sound” s’étend devant nous dans la lueur du petit matin. Le vent souffle fort et le bateau tappe sur les vagues. Le paysage est superbe : des montagnes d’un rocher rendu vert par la végétation surgissent de l’eau de chaque coté du bateau. Régulièrement des vallées les fendent, des gorges partent à l’assault des cimes, taillées comme à coup de hache. La fameuse “Secretary Island” se dresse devant moi. Située à l’entrée du fjord, loin de tout et pourtant accessible en quelques heures, elle constitue l’une des destinations favorites d’Adrian, qui y a trainé les membres les plus fous du club. J’en ai entendu parlé depuis longtemps : elle est partiellement couverte d’une brousse basse et extrèmement dense, formée d’arbustes secs et agressifs, la “sub-antartic scrub”. Il paraît que la progression est terriblement difficile. J’y vais le week end aprés mon retour de ce périple. Pour l’instant je ne vois d’elle que des paroies presques verticales couvertes de “rain forest” ; le reste de l’ile est sur un plateau qui domine le fjord de plusieurs centaines de mêtres.

Nous nous engageons dans la branche du fjord où Adrian va nous déposer. Au fond la “Camelot river” vient se jeter dans la mer Tasmienne formant un long estuaire plat et vaseux, qu’Adrian remonte habilement le long des veines de la rivière. Il s’engage surprenement loin dans la rivière, dépassant les étendues de vase de l’estuaire pour remonter l’une des branches de la rivière, à peine deux fois plus large que son bateau. La forêt forme un toit au dessus de l’eau et il ne faudrait pas beaucoup pour que je me crois en amazonie. Malgrés tout Adrian doit arréter son bateau : des tronc d’arbres submergés barrent le passage. Il nous débarque et nous souhaite bonne chance. Il part naviguer pendant une semaine avec sa copine. Pour eux, comme pour nous, ce sera le dernier contact humain extérieur pendant plus d’une semaine.

Il faut vite nous mettre en marche, et nous commençons par lutter contre la boue. Les sacs à dos trés lourds n’arrangent pas la situation, et à un moment je m’enfonce jusqu’à la taille, ce qui déclanche un fou rire général, même si je suis absolument incapable de sortir tout seul. La brousse n’est pas trés dense et plus loin dans la vallée nous rencontrons des sentiers de rennes, certainement pas d’humains : il y a en moyenne un groupe qui passe par an ici. Les rennes font d’excellents sentiers, qui malheureusement se perdent assez souvent, et ne vont pas toujours là où nous voulons aller. De plus les rennes engembent ou sautent les troncs en travers, tandit que pour nous, bipèdes lourdement chargés, se redresser aprés avoir rampé sous un arbre est la croix et la bannière quand on a 25 kilos sur le dos. Je découvre que le piolet, que j’avais choisi parmis les plus longs, content d’avoir réussi à en avoir un à ma taille, dépasse de mon sac, et se prend dans les branches et les lianes ; ce n’est pas pour rien que les Néo-Zélandais aiment les piolets courts. La journée passe vite et vers 6 heures nous sommes dans un marécage, naviguant au dessus de la boue par l’intermédiaire de troncs d’arbres tombés, ou sautant d’une racine à l’autre. Cependant quand nous essayons d’en sortir nous nous heurtons à un enchévêtrement de racines et de mousse formant un plancher irrégulier à travers lequel on passe facilement à travers. Nous décidons de retourner dans le marécage pour tenter de rejoindre la rivière. Là nous trouvons des plages de galets et quelques centaines de mêtres plus loin les chutes à coté desquels nous avions prévu de camper. Il était temps : la lumière du jour disparaissait.

La “fly-tent” est rapidement mise en place, et pendant que Dave cherche du bois sec et Danillo prépare le dinner, James et moi déroulons et tendons l’antenne de vingts mêtres de long de la radio. A 7h30 la base va nous appeller, comme tous les soirs, pour que nous leur donnions notre position. C’est l’occasion de prendre la météo, et de recevoir ou envoyer des messages. Lorsque la voix laconique de l’opérateur se fait entendre il fait nuit depuis longtemps et nous somme sous la “fly-tent”, dans nos sac de couchage, la radio posée à coté. “This is IB-Base Christchurch, calling field stations, now calling IB twenty six, IB two six.” IB 26 est l’indicatif d’Adrian, et nous apprenons qu’ils sont sortis du fjord et passent la nuit dans un petit fjord plus au sud. Les appels s’éternisent : comme la météo est bonne et que c’est le debut des vacances il y a un nombre incroyable ( 20 ? ) de groupes dans l’arrière pays. Finallement “Now calling IB one forty nine, IB one four nine.” C’est nous, et James répond, articulant lentement : “IB Base, this is IB one four nine, we copied the weather forecast, have no messages and are currently located at the entrance of the Cozette burn, that’s the Cozette burn, over” - “IB one four nine, could you please repeat your location ? Over”, l’opérateur n’a pas la moindre idée d’où est la “Cozette burn”, personne ne va jamais aussi loin. Une fois le rapport radio terminé James et Dave démarrent le feu. Je trouve même le courage de sortir de mon sac de couchage et de courrir pieds nus jusqu’au feu. Nous ne veillons pas longtemps, mais nous apprécions tous pleinement ce moment privigié où on sent vibrer Fjordland autour de soi dans le calme de la nuit. Avant de me reglisser dans mon sac de couchage j’examine mon petit doigt de pied : il y a quelques jours de là je me suis arraché l’ongle et je crainds un ongle incarné. Il est rouge et probablement inflamé, mais n’a pas l’air trop laid. Je mets à tout hasard la paumade que j’ai acheté à Gore en prévision de tels problèmes ; ce n’est pas ce que j’aurais voulu, mais je n’ai pas réussi à me faire comprendre de la pharmacienne.


Le lendemain matin Danillo nous reveille avant les premières lueurs du jour. Il a déjà préparé le porridge et nous le mangeons sans sortir du sac de couchage : il fait noir comme dans un four mais nettement plus froid. Je suis de mauvaise humeur : je déteste devoir faire mon sac à la lumière de ma lampe frontale : “Danillo, this IS too early !”. Heureusement le temps que nous plions la tente et l’antenne il fait suffisement jour pour que nous marchions sans lampe. La progression reste assez facile, même s’il faut traverser la rivière plusieurs fois. Le problème n’est pas trop que cela nous mouille jusqu’à la ceinture, c’est désagréable mais on s’y fait presque, le problème est plutôt que le courant est élevé, le fond est irrégulier, et avec nos sac à dos une chute peut être fatale. A chaque fois que je lève un pied pour l’avancer, le pauvre bipède que je suis se retrouve en équilibre instable sur un unique appui ; c’est pourquoi lorsque le courant est vraiment trop élevé nous nous regroupons, formant une ligne parallèle au courant, et, épaule contre épaule, chacun avance un pied à son tour. Bien sûr des rochers ou des trous viennent briser la ligne ainsi formée, mais cela permet de passer avec plus de facilité.

Alors que nous suivons péniblement le sentier de lestes rennes, grimpant au dessus de troncs d’arbres, ou passant en dessous, Danillo s’éfondre soudain, et pousse un grand cri. D’où je suis je ne peux rien voir à cause des fougères, mais James et Dave, juste derrière lui se penchent sur lui. Il gémit à terre, mais apparement ne semble pas blessé trop gravement. Il a glissé du tronc qu’il escaladait et c’est cogné à la tête. Il ne saigne pas, n’a pas de nausée, se sent en possession de tous ses moyens, et se plaind juste d’une grande douleur là où il s’est cogné. Nous écartons donc le risque d’une commotion cérébrale et repartons aprés une demi heure de pause. Cet épisode nous rapelle que ici le moindre incident peu tourner au drâme et que nous ne pouvons nous permettre de prendre des risques inutiles.

Le soir nous somme encore dans la “Cozette burn”, mais à coté du “Hidden lake”, au pied de “Coronation peak”. Le pic se dresse au fond de la vallée, féroce, le sommet est entouré de falaise pour autant que nous pouvons voir, mais Danillo nous dit qu’il a le récit de la première expédition et connait donc le chemin. Nous le questionnons un peu à propos de cette expédition, et nous apprenons que les personnes en question sont restées pendant quatres semaines avant de trouver un passage, recevant leur avitaillement par hélicoptère. Nous n’avons qu’une journée, et ce sera une longue journée.


Le matin lorsque Danillo nous réveille je suis ravi de voir que la lune est levée ; je n’espère bien sûr pas voir le soleil de si tôt. Nous laissons la tente et une grande partie de notre équipement et nous lançons dans la brousse à la lumière de nos frontales. Progresser dans la brousse n’est déjà pas bien facile, mais la nuit c’est encore plus impressionant : on a l’impression d’être enfermé dans une cage infinie de branches, et à chaque pas que l’on fait une nouvelle branche, un nouveau rocher, une nouvelle liane surgit. Nous gagnons un torrent que nous remontons lentement. La brousse est si compacte que à chaque fois que nous tentons de quitter le lit du torrent nous sommes refoulé. Il nous faut donc patauger de caillou en caillou, franchissant des petites chutes sur le coté, grimpant encore et encore sur des rochers glissants et couverts de mousse. A la lumière de ma lampe je distingue Danillo qui passe lentement au dessus d’un rocher pour se retourner et redescendre : cela ne passe pas. Danillo m’impressionne par sa détermination, il est nettement moins agile que nous, tombe souvent et progresse avec beaucoup de difficulté, mais il repart constement à l’assaut, malgrés un sac encore plus lourd que le notre, et particulièrement mal équilibré.

Le jour se lève lentement et dans ma tête je me demande en avançant si ma vénération va d’abord au soleil, ou à mon sac de couchage. Nous quittons enfin le torrent pour un éboulit qui s’élance droit vers la falaise, sous laquelle nous allons traverser pour rejoindre le torrent et tenter de passer au dessus de la superbe chute de 70 mètres qui nous barre le passage. Nous passons vite au dessus de la brousse, mais j’apperçois que les flancs de la montagne sont couvert de la fameuse “scrub”. Arrivée en haut de l’éboulit il faut s’engager dedans. Je ne vois aucun passage, les arbustes forment une masse continue et uniforme, leur branches sèches et dénuées de feuilles s’entremélant. James se lance, se frayant un passage avec les bras. Nous nous regardons et lentement nous préparons à nous engager à sa suite quand il réapparaît : Il a vu un chamois un peu plus haut, il doit donc y avoir un passage. Nous découvrons en effet juste sous la falaise des marques de sabots qui nous guident à travers la brousse. Nous longeons la falaise si haut que nous sommes situés au dessus de la chute que nous devons franchir. A un endroit où la falaise est particulièrement petite James se retourne vers moi : nous pensons la même chose, le rocher est bon, il est loin d’être vertical, et est parcouru de beaucoup de failles, le passage sera facile ici. Dave, qui est un trés bon grimpeur est d’accord avec nous mais Danillo veut faire le tour. Il part donc vers la chute tandit que nous sortons la corde et les harnais. Le début ne présente aucune difficulté et nous ne nous encordons même pas, mais, étant en tête, je me trouve bloqué lorsque la faille que je suivais est envahie par une petite source. Nous nous arrétons sur une plateforme en dessous, et Dave prend la tête, tandis que Jame l’assure à partir d’une sangle passée autour d’une piton rocher. Dave progresse lentement, mais avec aisance, et beaucoup de précaution. Il place deux sangles pour s’assurer avant de disparaître de notre champ de vision derrière une avancée rocheuse. Les deux sangles, qu’il avait pourtant bloqué par des pierres, finissent par sortir de leur encoche : si il tombe il parcourera deux fois trente mêtres avant d’être arrété par la corde. James et moi nous nous regardons : Dave n’a rien remarqué. Nous choisissons de ne pas lui dire, c’est un grimpeur sûr et il ne prendra pas de risques ; de toutes façons il ne peut pas vraiment redescendre. Finallement Dave nous appelle : Go ahead. Je pars, encordé au milieu de la corde, gravis les difficultés, puis libère la corde pour James qui grimpe en bout de corde. De là où je suis la sortie est facile et je suis rapidement sur le plateau, où Danillo nous attend en riant : son chemin était clairement le plus court, mais nous sommes content d’avoir eu une jolie vue, et d’être sortis de la brousse. De plus Dave, qui transporte la corde, se réjouit de l’avoir utilisé au moins une fois.

Il nous faut alors contourner la montagne pour s’engager dans une vallée se terminant par un long pierrier à partir duquel nous nous grimpons sur une arrète menant au sommet. En chemin nous tombons sur un groupe de Kea. Ces perroquets des montagnes sont remarquablement intelligents et vivaces. Leur jeu favori est de voler de la nourriture ou de l’équipement aux randonneurs. James m’a raconté qu’une nuit, alors qu’il dormait à l’extérieur d’un refuge plein, un Kea se glissait derrière lui pour picorer son matelat de sol. Il l’a chassé de nombreuses fois, courant derrière l’animal, qui ne se donnait même pas le mal de voler, mais sautillait pour lui échapper. Et la satannée bestiole revennait toujours, choisissant bien sûr d’approcher derrière lui. Il a fini par aller dormir sur le sol déjà encombrée du refuge, rejoind par un autre malheureux qu’un Kea empéchait de dormir en sautant continuement sur son sac de bivouac. Alors que nous gravissons un à un les blocs dont les pentes sont jonchées, ces oiseaux se posaient à coté de nous et riaient, se moquant problablement de nous, pauvres humains, condamnés à marcher alors qu’eux peuvent survoler le terrain sans difficulté.

Dave, James et moi arrivons au col rapidement. On apperçoit la vallée jusqu’au lac qui surplombe la chute d’eau. Sur le coté, au dessus de l’éboulit que nous avons gravit, se dresse un glacier, qui se continue en une chute qui plonge directement au fond de la vallé. Dieu merci le glacier est un petit, et il fond juste avant la falaise, nous n’avons donc pas marché sous des chutes de serracs, comme on en voit tant autour du Mont Cook, mais sous une superbe cascade de glace. Danillo est toujours dans la pente et je suis surpris de voir les deux autres s’engager sur l’arrète : il est onze heures et je commence à avoir faim. J’avale deux barres de céréal et je me lance à leur suite. Vingt minutes plus tard Dave déclare qu’il ne peut plus avancer et doit manger. C’est avec plaisir que je sors le nutella. Nous cassons la croute en vitesse et repartons quand Danillo nous rejoind : nous avons encore du chemin à parcourir. Arrivés au glacier Dave James et moi chaussons nos crampons tandis que Danillo décide de le contourner sur l’arrète. C’est fabuleux de marcher sur la neige, lisse et régulière. Le glacier se prolonge sous le sommet jusqu’à une autre arrète, mais aucune des deux arrètes, ni la falaise sous le sommet ne nous tentent. Nous nous arrétons à un petit col où le glacier rejoind l’arrète que nous gravissions. Nous attendons Danillo, bien décidés à ne pas nous lancer dans les paroies qui nous attendent. Danillo est de notre avis : le chemin pris par la première expédition lui semble difficile et dangeureux, mais il veut descendre le goulet au sommet duquel nous nous tenons, pour rejoindre un plateau qui nous permettera de traverser vers une troisième arrète qui sur la carte n’a pas l’air trop difficile. Nous nous laissons convaincre et nous nous engageons lentement dans le goulet, un par un, car nous libérons des pierres qui dévallent dangereusement la pente. Danillo part devant, il veut absolument arriver au sommet. Nous autres sommes content de profiter du soleil et de la vue fabuleuse : on voit loin dans Fjordland, une succession de pics pointus, d’arrètes étroites et de vallées encaissées. Arrivés à l’autre arrète nous décidons que c’est une impasse et nous arrétons pour attendre le retour de Danillo et casser la croute.

Danillo ne reviend cependant pas bien vite et nous partons voir ce qu’il devient, laissant les sacs derrière. Nous le trouvons en train de faire méthodiquement des marches dans un glacier de neige froide avec ses crampons, ce qui nous fait bien rire : non seulement la paroie à coté du glacier est facile à grimper, comme nous lui montrons, mais en plus tailler des marches dans une neige aussi froide, où les crampons accrochent trés bien nous semble ridicule, mais clairement Danillo n’est pas à l’aise en terrain alpin. Il s’entête cependant et se lance à l’assaut de la falaise qui le sépare du sommet. Nous avons laissés la corde avec les sacs et ne pouvons rien faire pour lui. Nous sommes bien décidé à ne pas le suivre : il est temps de rentrer, aucun d’entre nous n’a une envie folle de descendre la nuit tombée. Je m’assoie sur un rocher, au soleil, et j’enlève mes chaussures pour les faires sécher. Mon petit doigt de pied m’inquiète : j’en tire une bonne quantité de pus, même si je ne peux localiser l’endroit où l’ongle s’enfonce dans la chair. Au bout d’une heure nous voyons réapparaître Danillo, qui nous en veut de ne pas l’avoir suivi avec la corde. Selon lui nous aurions pu faire le sommet. C’est vrai qu’avoir grimpé “Coronation peak”, un sommet en haut duquel seulement une vingtaine d’alpinistes se sont baladés aurait fait joli sur ma liste de course, mais cela n’aurait rien apporté à ma journée, que j’estime trés réussite.

Nous entamons la descente au pas de course, trainant Danillo essouflé derrière nous, le plus bas nous nous trouvons que le soleil se couchera le mieu cela sera. Nous contournons la chute d’eau par la brousse, descendant une pente si raide que nous avons l’impression de nous suspendre d’arbre en arbre. Quand je pense que ce pauvre Danillo a dû monter par là. Nous sortons de la “scrub” avant de devoir allumer les lampes : il ne reste plus que l’éboulit et le torrent à descendre, ce qui nous prend deux heures. Au fur et à mesure que nous approchons de la tente je me rend compte que nous n’avons aucun moyen de la repèrer. Danillo prétent qu’elle est à coté d’un ruisseau, et qu’il suffira donc de le suivre mais il y a une dizaine de ruisseaux, et nous pouvons passer à vingts mêtres de la tente sans la voir. Je commence à être passablement en colère contre cet inconscient. Au bout d’un moment il paraît clair que nous avons dépassé la tente sans la voir et nous nous divisons en deux groupes, Dave et James, et Danillo et moi, pour ratisser la forêt. Nous cherchons une aiguille dans une botte de foin. Je regrette de ne pas avoir pris ma doudounne : dès que nous nous arrèterons de marcher nous nous refroidirons, nous avons peu de chances de passer la nuit si nous ne trouvons pas nos sac de couchage. Danillo est persuadé qu’il peut trouver la tente juste par son instinct et parcourt la forêt de façon désordonnée, ce qui a le don de m’exaspérer encore plus. Je le force à s’arréter et j’établi le contact avec les autres en criant : nous devons nous organiser et coordonner notre action. La communication n’est bien sûr pas évidente et encore là Danillo se montre incapable, coupant James alors qu’il parle et donnant des indications imprécises. Il faut comprendre que la brousse atténue les sons, et parler avec quelqu’un deux cents mêtres plus loin demande un protocole semble à parler sur une radio : si la personne en question n’est pas immobile et concentrée elle ne comprendra pas le message. Nous décidons donc de choisir deux ruisseaux et de les remonter jusqu’à ce que nous soyons certains d’avoir dépassé la tente, puis de se décaler, de choisir deux nouveaux ruisseaux et de recommencer. Nous balayons ainsi deux paires de ruisseaux, mais ils sinuent tellement que nous n’avons pas une idée clair de la situation, ni d’où nous marchons. Je décide de regrouper tout le monde et demande aux autres de rester où ils sont. Il faut alors les trouver, leurs lampes sont bien sûr invisbles. Pour cela je marche pendant vingt mêtres puis crie “James ?” - “Here” - “OK”, et c’est repartit pour vingt mêtres. Soudain je distingue un fil tendu en l’air. Un fil ? Dans un endroit comme ceci cela cloche vraiment ; “Freeze every body !” je crie. Et je suis le fil. C’était l’antenne de la radio, j’étais passé à dix mêtres de la tente sans la voir. Vous pouvez imaginer ma joie quand je crie “I have the fly !”. Nous nous sommes vite mis dans nos sac de couchage sans un mot et avons mangé notre dinner silencieusement. Je ne sais ce que Danillo pensait mais nous autres étions furieux contre lui à cause de son obstination à vouloir faire le sommet, et son manque d’organisation. Il me paraît la moindre des choses de repérer la tente dans un cas comme cela, ne serais-ce qu’avec des relèvements, mais monsieur ne transporte même pas de compas. Je pense que à ce moment nous avons pris la décision tacite que Danillo ne dirigeait plus le groupe et que nous agirons selon notre évaluation de la situation, qu’il le veuille ou non.


Quand Danillo nous réveille le jour suivant il fait déjà jour. Apparement nous avons eut le droit à une grasse matinée. Nous l’avons mérité : nous avons marché 14 heures la veille. Un “weka” furte autour de la tente. Cet oiseau indigène ressemble à une sorte de poule. Il ne peut pas non plus voler et est tout à fait inoffensif mais il adore chipper tout ce qu’il peut trouver. Nous essayons de lui faire peur mais ce n’est pas évident sans sortir du sac de couchage. Le weka finit par trouver un ver de terre qu’il extrait entier du sol, au bout d’une longue bataille dont le but évident était de ne pas couper le ver en deux en le tirant par une extrémité. Il s’enfuie alors avec sa prise, nous laissant savourer notre porridge tranquille. Les rations sont clairement trop petites. Non seulement je pourrais facilement en avaler le double, mais en plus dès dix heures la faim me tenaillait. Il n’y a cependant rien que l’on puisse faire : nous devons nous limiter sur la nourriture. La bonne nouvelle est que ce soir nous serons à la hutte : “Robin saddle hut”, que le topo annonçait comme la hutte la plus reculée de Nouvelle Zélande. Pour cela il nous faut franchir un col, puis traverser à mi pente de l’autre coté pendant quelques kilomêtres jusqu’à la hutte. Une longue journée mais la perspective d’une bonne nuit me motive.

Au bout de quelques kilomêtres de brousse nous arrivons à une chute d’eau bordée de chaque coté par des barres rocheuses couvertes de brousse. Il n’y a aucun moyen de la contourner, il faut se lancer dans la falaise. Mais ce n’est pas une falaise sèche et grimpable comme celle que nous avons gravit la veille : c’est une dalle de roche lisse et couverte entièrement de plusieurs centimêtres de mousse. A travers chaque trou dans le rocher sortent des arbustes variés. Danillo et James essaient plusieurs voies sans succés avant que James trouve une faille prometteuse. L’ascension est particulièrement pénible : nous nous agrippons à tout ce qui pousse, le rocher étant trop lisse et mouillé pour fournir un appuit, et nous hissons presque verticalement. Pour courronner le tout nous sommes condamné à passer au milieu de “bush-lawyers” : les ronces de la brousse. James est devant et nous encourrage : oui cela passe, oui la falaise continue plus haut. Nous en sortons finallement et rejoignons le torrent pour le remonter, content de trouver un terrain aussi facile. Nous somme tous d’accord que c’est le passage le plus dûr de brousse que nous avons jamais franchi, et je crois qu’aucun d’entre nous n’a une grande envie d’en franchir un plus dûr. Nous avançons sans nous arréter. Je sens la fatigue des jours passés, gravissant sans cesse de nouveaux rochers. Danillo est lent et nous devons régulièrement nous arreter pour l’attendre. Au cours de l’un des arrêts j’ouvre les chocolats que j’ai eut pour mon anniversaire : j’ai vraiment trop faim. Nous trouvonns un éboulis sur la gauche qui nous permet de passer au dessus d’une autre grande chute, contournant les falaises qui l’entourent. De plus il nous permet de passer au dessus de la “scrub”, qui ne subsiste pas bien haut, heureusement. Je me sens faible, il faut que je mange. Je force les autres à s’arréter sur un petit plateau, au soleil, à coté d’un ruisseau. Nous nous alongeons dans les hautes herbes, dégustant le déjeuner avec plaisir. De temps en temps nous nous levons pour marquer notre position pour Danillo qui progresse lentement. Le paysage est fabuleux : des falaises en arc de cercle nous séparent du col, fendues par une chute d’eau au milieu. La montagne est couverte, entre quelques éboulis, d’une herbe jaunâtre qui paraît dorée au soleil. Jusqu’ici la météo a été fabuleuse même si la radio nous annonce une déterioration.

Nous repartons à l’assaut du col. Arrivé en haut il faut redescendre de l’autre coté, ce qui est plus dûr car d’en haut on ne voit pas les pentes et on ne sais jamais où descendre, comment éviter les barres rocheuses. Nous nous engageons dans un goulet étroit et raide, couvert d’herbe. Désescalader ce mélange d’herbe glissante et de rocher mouillé est plutôt désagréable et nous envisageons en riant de mettre nos crampons. Je rie encore plus quand je vois Danillo glisser lentement pendant quelques mêtres sur un plan d’herbe. Je trouve que c’est une manière particulièrement inélégante de le descendre et je compte bien faire mieux. Mais arrivé à cet emplacement mes pieds glissent soudainement et je pars dans la pente, gagnant de la vitesse rapidement. J’évite Danillo mais je ne parviens pas à m’arréter, la pente est trop glissante, je rebondit sur mes pieds, roule deux trois fois et réussis à agripper de l’herbe pour m’arréter. Je suis sur le ventre, la tête en bas. J’ai descendu vingts mêtres et Danillo au dessus de moi est toujours en train d’hurler. Dave me demande si je vais bien. Oui, tout est OK… Je porte ma main à ma tête. Ce n’est pas que de la boue que j’ai sur le visage, il y a du sang. Il vient de dessous ma lèvre inférieure. Cela me fait mal, mais ce n’est pas un bon critère. Dave me dit que ce n’est pas profond mais sort tout de même un pansement. Mon coude aussi me fait mal, mais je vois bien vite que c’est un détail. Je repars lentement, tremblant. La pente ne me semble plus trés amusante. Au bout de quelques minutes je me rend compte que ma hanche me fait aussi mal. Sous ma ceinture j’ai une jolie entaille. C’est relativement profond. Rien qui ne m’inquiète réellement, mais la ceinture de mon sac à dos appuie là. Cela va être douloureux et cela ne va pas cicatriser de si tôt. Je descend le reste de la pente trés lentement. J’ai compris que l’herbe ici était la seule chose qui tenait et je saisis de grande touffes à pleines mains avant chaque pas.

D’où nous sommes nous pouvons voir un petit plateau avec quelques marres qui longe la montagne, formant un trou dans la brousse. Nous descendons vers se plateau et Danillo, qui choisit un chemin différent du notre, Dieu sait pourquoi, nous dit qu’il nous y retrouvera. Lorsque nous pénétrons dans la brousse nous découvrons avec horreur que c’est un mélange de brousse classique et de scrub, le tout saupoudré de gros rochers aussi hauts que nous. Il nous faut une bonne heure pour franchir la fine bande de brousse qui nous séparait du plateau, et nous découvrons qu’il y a en fait plusieurs plateaux. Bien sûr pas de Danillo et nous nous époumonons pendant une heure avant de le retrouver. Il est tard ; il paraît clair que nous n’arriverons pas à la hutte aujourd’hui. De plus nous sommes absolument épuisés. James est le premier à l’avouer mais nous en sommes tous conscients. Pour aller à la hutte il nous faut franchir quelques kilomêtres en traversant sur une pente raide couverte de scrub. La hutte est cachée par un éperon rocheux. Danillo semble vouloir tenter l’ascension de “Mount Irene”, au pied du quel la hutte est situé le lendemain, j’insiste donc pour que nous essayons de continuer un peu. De plus je n’aime pas l’idée de camper sur le plateau, l’eau des marres ne m’inspire pas confiance et il n’y a aucun abrit contre le vent. Dés que nous quittons le plateau nous heurtons une couche uniforme de “scrub”. La pente est trés raide et la seule progression possible est en s’aggripant aux arbustes avec les mains pour faire tenir les pieds en opposition. Au bout de cents mêtres nous décidons qu’il est vain d’éssayer de continuer ainsi : chaque mêtre est épuisant et nous n’avançons que trés lentement. Je me porte volontaire pour aller examiner le torrent que nous surplombant à la recherche d’un emplacement plat pour établir la tente. Descendre cinquante mêtres jusqu’à la rivière n’a pas été évident, mais remonter, lorsqu’il a été clair qu’il n’y avait aucun endroit favorable, a été un vrai calvaire. L’unique moyen était de se hisser, presque entièrement à la force de ses mains, les pieds battant pour prendre appuie sur un tronc, un arbuste, n’importe quoi, de toute façon la pente n’était que branches et épines. Quand j’arrive à la tente, que les autres on déjà dressé sur le plateau que nous venions de quitter, je n’ai que la force de me glisser dans mon sac de couchage, gromellant que le jour suivant allait être dûr. La tente, que je devrais décidement appeller bache, avait était tendue grace aux batons de marche que Danillo transporte sur son sac et aux piolets. Piolets qui avaient d’ailleurs servit à faire un peu de “jardinage” sous la bache. La tente n’est clairement pas assez tendue et je ne peux même pas m’assoir dans mon sac de couchage. Si il y a du vent cette nuit elle s’envolera.


Je ne peux même pas prétendre que j’ai mal dormit, malgrés le vent glacial qui balayait la tente : pour la première fois j’ai entièrement fermé mon sac de bivouac sur ma tête. Le matin la condensation était gelée sur la tente. Mes chaussettes et même mes chaussures étaient aussi gelées. Le départ a été psychologiquement dûr. Sachant ce qui m’attendais je me sentais assez misérablement. Mes pieds n’arrivaient pas à se rechauffer et comble de l’horreur, la “scrub” était gélée, je me tractait donc à travers la paroi sur des buissons épineux qui me maintenaient froid et humide. La traversée a duré trois heures pendant les quelles nous avons été continuement dans le froid à l’ombre de l’éperon rocheux. Il nous a fallut passer au dessus, dans des pentes telles que nous avons dû hisser à plusieurs reprises le sac de Danillo aux passages délicats. En haut de l’éperon on appercevait le lac à coté du quel était la hutte. Quelle vue délicieuse. Haut dessus trônait “Mount Irene”, que Danillo étudiait déjà pour trouver une voie vers le sommet. Les autres n’on pas voulu s’arréter pour manger et l’intégralité de mes chocolats a à peine suffit à me faire tenir jusqu’à la hutte où j’ai finallement pu entamer mes crackers. Je crois que pour la première fois de ma vie j’ai été en hypoglycémie. La faim me tenaillait et me rendait faible. J’ai apparement besoin de manger plus que les autres, et dans une expédition comme celle là c’est un problème. Heureusement j’avais prévu des déjeuners beaucoup plus gros que les autres qui en riaient il y a quelques jours mais maintenant me regardaient avec envie avaler une demi boite de crackers. C’est là que James a sorti des oeufs de Pâques pour tout le monde. C’est impressionant ce qu’on les apprécie dans un tel endroit.

Le miel était délicieux, le soleil me chauffait agréablement, assis sur des pierres, pieds nus devant la hutte. Cette fabuleuse hutte, grande de trois mêtres sur trois mêtres me réchauffait le coeur. Un tel abri dans un endroit aussi reculé, perché dans de superbes montagnes, dans des paysages indéscriptibles avait quelque chose de féérique. Le livre de la hutte indiquait que personne n’y avait été depuis mars de l’année dernière. Datant de 18 ans le livre ne contenait qu’une trentaine d’entrées, principalement des zoologistes à la recherche des Takahes, une espèce de perroquet en voie de disparission. Il y avait aussi quelques histoires folles comme celle de cet Allemand, parti de la pointe sud de l’ile, remontant vers le nord à travers l’ouest, sauvage et désert. Cela ne lui avait pris que 23 jours pour arriver jusqu’ici ; comme le faisait remarquer quelqu’un dans le livre “This man must be a machine !”. Un autre voyageur était tombé d’une arrète et s’était réfugié dans la hutte pour une semaine “I laid and suffered here for a week while I recovered from my injuries”. Presque toutes les entrées faisaient remarquer combien cette hutte était fabuleuse, et beaucoup mentionnaient une météo execrable : “foul weather”. Pour l’instant le soleil brillait mais des nuages s’amoncellaient autour des sommets.

Danillo n’envisageait plus de gravir Mont Irene ce jour même. De toutes façons il aurait été seul. J’étais épuisé et je continuais à tirer du pus de mon doigt de pied. Mes mains étaient déchirées par la “scrub” et mes avants bras lacérés. Tout mon corp réclamait une pause, et les autres semblaient d’accord. J’étais un peu préocuppé par mon pied : j’avais marché pendant quatres jours avec de mauvaises chaussures, deux semaines au paravant, et j’avais attrapé ce que certains ont diagnostiqués comme une infection osseuse au talon. Je connais cela car c’est ce qui a tourmenté ma malléole au début de l’année. Je n’avais pas encore réalisé ce que j’avais au début du voyage, mais la douleur croissait lentement et la fin du périple promettait d’être difficile. En attendant j’étais dans un endroit fabuleux et le repos inattendu dont je bénéficiais me permettais d’en profiter pleinement. Dave avait piqué une tête dans le lac mais nous étions trop frilleux pour le suivre, malgrés un besoin réel d’un bain. La hutte avait des ressources inattendues : non seulement il y avait une bonne provision de livres, ce qui est assez classique, mais en plus il y avait de la nourriture, visiblement amenée par un groupe déposé en hélicoptère. Je ne citerais pas ici les dates de péremption de ce que nous avons consomé, de peur de vous affoler, mais certains produits étaient tout à fait mangeable. Le soir nous avons eut double ration de pâtes, ce qui est passé sans difficulté.

Le vent s’était levé et la nuit a été terriblement ventée. La petite hutte tremblait et gemissait sous les bourrasques, ce qui faisait que nous l’aimions encore plus. J’avais choisi parmis les quatres couchettes une située en haut, sous la partie du toit en taulle transparente. A notre surprise le toit était bien étanche, mais le vent s’engouffrait dessous juste à la hauteur de ma tête et je me suis retrouvé a ne laisser que mon nez dépasser de mon sac de couchage.


Au cours de la nuit j’entendais le temps empirer et je me demandais quels étaient les plans de Danillo pour la suite. Nous nous sommes levés vers neuf heures et personne ne parlait de quitter la hutte. C’était le 22 avril, l’anniversaire de Danillo. Il y avait de la farine, du sucre, de l’huile, de la canelle, et même du chocolat en poudre dans la hutte. De plus il y avait un réchaud avec du kerosene. Dave et moi, les deux affamés de service, nous sommes donc attelés à la tache de faire un gateau. Comme substitut de four nous avons utilisés une marmite que nous avons suspendu au dessus du réchaud. Notre gateau était plat et nous avons pu le retourner pour le faire cuire convenablement des deux cotés. Je l’ai trouvé trés réussi ! Aprés le déjeuner nous avons fait un défillé de mode avec les habits trouvés dans la hutte puis nous nous sommes plongés dans de la lecture. J’avais trouvé dans la hutte un Steinbeck que j’adore et le mauvais temps était une bénédiction. Nous ne pouvions cependant rester indéfiniment dans ce refuge car nos provisions étaient limitées et il y avait encore beaucoup de trajet avant de rejoindre le lac Te Anau où nous pourrions être évacués. Entre le lac et nous se dressait la “Takahe restricted area”. Cette région où on ne peut pénetrer sans autorisation du DOC est le refuge des Takahes. Nous avons contacté le DOC par radio pour leur demander l’autorisation de sortir par là, au lieu de notre itinéraire prévu, mais à ma grande surprise ils ne nous l’ont pas accordé, ce qui nous posait un serieux problème. Aucun d’entre nous n’avais rééllement envie de franchir encore deux cols et trois vallées de notre route initial, vu la difficulté des terrains que nous venions de parcourir.

Nous avons choisit un nouvel itinéraire de sortie, contournant la “Takahe restricted area” par le sud, passant deux jours sur les crêtes avant de s’engager dans la “Gorge burn” que je connaissais pour y avoir passé un week end. Le danger d’un tel itineraire était que du mauvais temps sur les crêtes ne pardonnerait pas.


Le matin nous a apporté un ciel couvert mais sans pluie ni grand vent. Le repos nous avait revigoré et nous sommes partis à l’assaut de Mont Irene. A mi chemin James nous abandonne, nous conseillant de s’entendre avec Danillo sur une heure limite de descente. Dave et moi décidons de ne pas s’arréter pour déjeuner, nous vengeant sur notre provision de gouters pendant les pauses pour attendre Danillo. En effet nous foncions car il était hors de question de descendre de nuit. L’ascension n’a pas posé de véritables difficultés. Les nuages avaient hélas entouré le sommet, réduisant la visibilité à quelques dizaines des mêtres et nous forçant à laisser des kerns dans les pierriers pour marquer la descente. Au sommet une minuscule cahutte abritait de l’équipement radio compliqué ; probablement un relais utilisé par les zoologistes du DOC, mais nous avons été bien surpris de trouver cela au milieu de nul part. Mont Irene est le plus haut sommet de Fjorland au sud de Milford, c’est donc un endroit stratégique pour de tel équipement. Malgrés cela nous n’avons été que le quatrième groupe à le gravir au cours des dernières 18 années.


Le lendemain il nous faut quitter cette fabuleuse hutte. Un fort vent froid balaye les montagnes et au bout d’une heure nous perdons Danillo qui a décidé de tenter une différente approche. Nous passons vingt minutes à l’attendre au milieu d’une crète, nous refroidissant terriblement. Encore une fois je suis furieux contre lui, même si je ne le laisse pas paraître. Dans un tel vent tout arrêt implique un refroidissement trés rapide et dangeureux. Il est classique dans de telles conditions de se retrouver avec de la transpiration gelée sur les vêtements. Le vent en question vient directement de l’Antartique et la situation me rappellait des descriptions que j’ai lu des régions sub-polaires, où le vent est l’un des pires ennemis de l’homme. Ce matin là c’était clairement ma préocupation principale. Heureusement quand nous arrivons sur les crètes il a nettement diminué, et nous sommes au dessus des nuages, bénéficiant donc de la chaleur du soleil. Un paysage grandiose nous attend : quelques montagnes grises aux paroies quasi verticales dépassent d’une mer étincellente de nuages tandis que la crête sur laquelle nous nous trouvons est couverte d’une fine dentelle de gel. Les quelques brins d’herbe sont blancs de neige sans pourtant être couchés. Une ravine descend quasiment à pic de l’autre coté, son flanc à l’ombre est bleutée et brillant : une couche de cristaux de glace recouvre le rocher.

L’air se réchauffe vite au fur et à mesure que le vent se calme et nous pouvons nous arréter pour déjeuner avec la valley de l’Irene à nos pieds. Je sors enfin le gateau au chocolat et au brandy que je transporte depuis le début. Je serais content de me débarrasser de ce poid qui me fait envie depuis le début. Les autres se moquent de moi “This is a guy who doesn’t bring his camera but carries a chocolat cake in his pac”. N’empèche qu’ils l’ont apprécié, mon gateau au chocolat. Cette balade sur les crètes est de toute beauté et la progression est particulièrement rapide. Le soir nous établissons la tente à coté d’une marre, derrière un col. Le sol est un peu en pente et j’ai la chance d’avoir un petit rocher où je peux poser mes pieds pour me caler. J’ai tout de même dormit en révant que j’étais debout.


Au lever le soleil dépasse à peine de l’horizon tumulteux et un ciel plein de couleurs se reflète dans la marre. Celle-ci est d’ailleurs partiellement gelée : le froid est le prix à payer pour avoir une telle vue au levé. Laver ce satané de porridge dans une eau à 0 degrés est un vrai supplice et je dois m’y reprendre à trois fois, réchauffant mes mains entre temps, mais c’est moi qui transporte la casserolle donc je suis motivé.

Nous continuons sur les crètes, mais aujourd’hui nous sommes un peu plus bas et le terrain est moins alpin. Nous sommes même obligés de descendre un peu pour éviter un pic trop raide. C’est l’occasion de regoutter à la “scrub”. Dans la remontée mon infection à l’os du pied me tourmente vraiment. Depuis quelques jours elle rend toute montée pénible. Je suis content que la fin approche. Danillo ne peut s’empécher de partir à l’assaut du pic ; mais nous continuons, au dessus d’une crète et jusqu’à deux lacs qui marquent l’entre de la vallée que nous suivrons pour sortir. La descente dans la vallée se termine avec la corde : nous n’avons pas la carte et n’avons pas vraiment choisi le meilleur chemin. Nous profitons du calme et du soleil sur le bras de terre entre les deux lacs en attendant Danillo. L’endroit où nous nous tenons est le point le plus proche de Mont Irène qu’a atteind la dernière expédition qui voulait tenter son ascension : bloqués par la neige ils ne sont jamais sortis de la vallée.

Nous nous enfonçons à nouveau dans la brousse. C’est presque agréable de changer de terrain. La progression semble facile aprés les éboulis et la scrub. Nous campons à coté de la rivière. C’est le dernier jour et nous finissons les légumes et la viande lyophilisés ! C’est une vraie fête à coté d’un feu de camp. C’est en conversant autour de ce feu que nous nous rendons compte combien la forêt ici est sûre : pas d’anacondas, de crocodiles, d’ours… Les seuls dangers sont les arbres, les rivières et les rochers. J’apprend que les seuls mammifères de Nouvelle Zélande sont des chauves souris. En fait presques toutes les espèces indigènes sont des oiseaux.


Le dernier jour ! Nous nous levons tard, huit heures ! Il nous faut juste contourner le lac boomerang et nous sommes en terrain connu. Malheureusement ce lac est typique d’un lac de Fjorland : coincé dans une vallée avec des paroies à pic il en occupe toute la partie plate. Il faut donc le contourner à travers d’amusantes pentes sur lesquelles il paraît aberrant de trouver de la forêt tellement elles sont raides. En deux emplacement le sol a cédé, et la forêt c’est retrouvée au fond du lac, laissant le rocher nu. Traverser ces falaises glissantes est un peu vertigineux, surtout que les prises sont nombreuses, mais restent entre nos mains. Je suis blasé par les différents passages exposés des derniers jours et je passe donc sans trop de difficultés, mais il faut transporter le sac de Danillo qui met une demi heure avant de se décider à traverser. Le résultat est que nous sommes terriblement en retard : nous avons rendez-vous avec un bateau à l’embouchure de la rivière, sur le lac Te Anau à 16h, et si nous loupons le bateau nous sommes condamnés à dormir sur place et à utiliser la radio pour le rapeller. Nous avons bien sûr gardé des pâtes et du porridge dans cette éventualité mais personne n’a une envie folle de dormir à coté du lac Te Anau pour le plaisir.

Une fois le lac contourné James et moi connaissons le chemin. Nous prévenons Danillo que le rythme va être élevé et que nous tenons absolument à arriver à l’heure. Une sucession de sentiers de rennes nous amène rapidement ( quelques heures de marche effreinée ) au dessus du lac Te Anau. Nous accusons cependant la fatigue des derniers jours et ce sprint nous a crevé. La brousse ne nous semble pas aussi facile que ce dont nous nous souvenions. Nous tombons tous souvent. Je me souviens de cet arbre, tombée parallèlement à un torrent encaissé. Pour le passer James c’était mis debout dessus avant de se laisser descendre deux bons mètres dans le ruisseau, s’accrochant aux fougères. Je l’ai regardé en me disant que c’était risqué, mais à moins de se retourner et perdre en temps fou à désescalader c’était la seule solution. Le ruisseau était bien sûr plus profond qu’il ne paraîssait et en descendant je suis tombé sur l’avant de la cheville, rajoutant une tache rouge sur mon pantalon déjà coloré. J’avais à peine fait dix mêtres à la poursuite de James qui cavallait devant que j’entend un choc sourd et un juron lancé avec un fort accent américain. C’est Dave qui a tenté de désescalader. Le flanc du ruisseau a laché sous ses pieds et il est tombé trois mêtres en arrière sur le dos. Heureusement les sacs à dos sont encore bien pleins, et cela amorti.

Enfin nous nous retrouvons sur la plage du lac Te Anau, a nous faire dévorer par les sandflies en attendant le bateau. Danillo, qui connait le type nous avait promis qu’il serait en avance mais nous ne voyons personne. Loin sur la droite un bateau avance lentement vers le fond du fjord, rasant la côte. D’ici quelques temps il sera sur nous. Danillo lui fait des grands signes et finallement le bateau accélère et vient accoster à coté de nous. Ce ne sont que des plaisanciers, mais ils nous proposent de nous ramener à Te Anau. Notre bateau n’est toujours pas là et nous craignons que le type n’ait confondu “Gorge burn” et “George burn” à la radio. Dans le doute nous acceptons l’offre, aprés beaucoup d’hésitations, nous disant que nous croiserons forcement le bateau dans l’étroit fjord s’il arrive en retard. Nos hôtes sont un jeune couple d’australiens et leur ami propriétaire de la vedette, un local. Nous les amusons beaucoup, avec nos habits couverts de boue, nos crampons et nos piolets, et notre sourire béat à l’idée de retrouver la civilisation. Oui, dix jours c’est long, mais c’était absolument génial. Des bières apparaissent par magie tandis que la vedette fonce vers Te Anau. A mis chemin le premier reservoir de carburant se vide : il faut commuter vers le deuxième. C’est là que nous réalisons qu’une autre vedette nous poursuit depuis le fond du fjord : c’est notre bateau. Il était tranquilement en train de pécher au fond du fjord quand il a vu l’autre vedette charger ses passagers. Tout est bien qui fini bien, nous remercions nos hôtes et nous embarquons sur l’autre bateau. Le pilote est un kiwi bourru qui s’avère sympatique si on sait bien le prendre.

A la cale j’ai la bétise de sauter à l’eau pour l’aider à mettre le bateau sur la remorque. Les autres attendent qu’il soit sorti de l’eau. Je ne veux plus mettre mes chaussures mouilées et à Gore, où nous nous arrétons pour un “fish and chips” je me balade pieds nus dans le froid. Qu’importe, je suis heureux. A la station service il y a une balance pour peser les bonbonnes de butane. Je me suis pesé dessus au départ et je tiens à comparer. J’ai perdu cinq kilos ! Je vous rassure, je les ai regagné depuis.


Hier nous nous sommes retrouvés chez Danillo pour regarder les diapos que James et Danillo ont pris. J’ai amené un gateau au chocolat et au brandy. Depuis j’ai emprunté les diapos de James, dans l’espoir de trouver un scanneur de diapos dans l’unniversité. Je me les suis projeté seul dans la salle de conférence de physique. C’était fabuleux ; absolument crevant mais si c’était à refaire je me relancerai dedans tête baissée. Le week end dernier, celui où j’étais censé aller sur Secretary Island j’ai annulé ma participation, et je suis resté en ville pour que mes pieds guérissent. Un week end en ville et j’ai l’impression d’être inactif, oisif, je suis impatient de repartir, je ronge mon frein. Heureusement ce week end je pars dans la vallée “Makaroa”, nous allons en terain alpin, avec probablement un bivouac sur la neige. Cela va être froid mais mon dos se plaind que le matelas de ma chambre est trop confortable, mes yeux se plaignent des rideaux que je vois en me réveillant… Dormir dans le froid et marcher dans la brousse me manquent.

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